Oui, je dois l’avouer, je croyais connaître Le Corbusier.
Et je ne le connaissais pas.
Il a fallu que je visionne le film de Frédéric Lamasse,
« Les vacances de Le Corbusier », pour que je découvre
qui était cet homme qui a créé les magnifiques bâtiments que nous
admirons.
Nous les admirons, sans savoir comment, et pourquoi ils ont été créés.
Et voilà que le film de Frédéric Lamasse m’éclaire, peut-être, sur
ce « comment » et ce « pourquoi ».
Ce qui me frappe, en premier lieu, dans ce film, c’est la présence de la mer, vivante et belle, dans son horizontalité.
Dans « les années 20 », Le Corbusier arrive dans le bassin d’Arcachon, pour y passer des vacances. Il est pénétré par cette horizontalité de l’océan. Il est heureux. Il s’intègre, avec son épouse, dans ce qu’il appelle la « tribu » Vidal : une modeste pension de famille qui les accueille au bord de cet océan qu’il découvre avec bonheur.
« Yvonne se bronze magnifiquement à l’ombre. Je reste blanc au soleil. »
Ces mots figurent dans une sorte de journal qu’il écrit au jour le jour.
« Les pluies incessantes ont tout verdi, printanisé. »
« Et le jeu des marées, qui vient hacher le jeu des heures solaires,
fait de chaque jour un divertissement différent.. »
Voilà que l’architecte, en lui, se manifeste aussi, lorsqu’il regarde ces maisons modestes qui peuplent les collines de sable qui bordent l’océan:
« Ces maisons ont une mesure commune : l’échelle humaine. »
« J’aime les maisons de planches, parce qu’elles sont honnêtes,
d’esprit et de conception. »
Le Corbusier avait toujours dans sa poche un carnet à dessin.
En 1936 il acquiert une petite caméra avec laquelle il fait des films
et des photos. Le film de Frédéric Lamasse parcourt amoureusement les dessins et les photos du Corbusier.
« Je me sens attiré vers des lieux où les hommes vivent encore
naturellement » nous dit-il. Et encore :
« Ce qui flanque le vertige, c’est de sentir s’ouvrir chaque jour, toujours
plus béants, les gouffres de l’inconnu. Plus on avance, plus on devient
modeste, effaré de ne réellement rien savoir. »
Pour lui, le bassin d’Arcachon, c’était comme une « horloge cosmique ».
La présence de la mer l’envahit, dans son horizontalité vivante.
« Un vaste plan horizontal s’étend vers moi. J’apprécie comme une
volupté ce magistral repos. Voici quelques rochers à droite. La sinuosité
des plages de sable me ravit comme une très douce modulation sur le
plan horizontal.
Je marchais. Subitement, je me suis arrêté. Entre l’horizon
et mes yeux, un évènement sensationnel s’est produit. Une roche verticale,
une pierre de granit est là, debout, comme un menhir. Sa verticale fait, avec
l’horizon de la mer, un angle droit.
Cristallisation, fixation du site. Ici est le lieu où l’homme s’arrête parce
qu’il y a symphonie totale, magnificence de rapport, noblesse.Le vertical
fixe le sens de l’horizontal. L’un vit à cause de l’autre. Voilà les puissances
de synthèse. Je réfléchis. Pourquoi suis-je pareillement commotionné?
Pourquoi cette émotion s’est-elle, en d’autres circonstances, et sous d’autres
formes, manifestée dans ma vie?
L’univers de nos yeux repose sur un plateau bordé d’horizon, la face tournée
vers le ciel, considérant l’espace inconcevable, jusqu’ici in-saisi.
Reposer, s’étendre, dormir, le dos au sol… Mais je me suis mis debout…
Puisque tu es droit, te voilà propre aux actes! »
Et voilà que l’architecte, voilà que Le Corbusier va peut-être se sentir capable
d’utiliser les fruits de cette forte expérience que la mer, dans son horizontalité
fascinante, vient de lui inspirer.
Le film de Frédéric Lamasse vient de m’offrir une sorte de cohabitation passionnante entre des textes d’un grand architecte, Le Corbusier, et des images de l’horizontalité de la mer.
Ces images, et les textes qui les accompagnent, m’ont passionné.
Oui, je risque ce mot.
Mais, où en suis-je de l’analyse du film que je viens de voir?
Ai-je le droit de parler de ce que je crois être la pensée de Le Corbusier? Est-ce que
j’ai le droit d’exprimer mon analyse de ce beau film de Frédéric Lamasse?
En ce qui concerne la pensée de Le Corbusier, je crois pouvoir y trouver une écoute attentive de la nature. Le Corbusier, à travers ce qu’il dit de l’horizontalité de la mer, et de la verticalité des dolmens qu’il rencontre le long du rivage, à travers la tendresse qu’il éprouve pour les modestes maisons en bois qu’il croise au cours de ses promenades, nous donne peut-être le secret des belles choses qu’il a créées : une écoute émerveillée de la nature.
Pour ce qui est du film de Frédéric Lamasse, je dirai simplement qu’il répond à l’idée que je me fais du cinéma : montrer ce que l’on a eu le bonheur de voir.
Pierre Marchou